Dwarf Fortress est un jeu légendaire, père d'un genre qui a donné du bon, et aussi beaucoup de moins bon : la gestion de colonie. Sorti il y a bien longtemps, en alpha perpétuelle (le projet d'une vie pour les deux frères qui le développent, si l'histoire vous intéresse, il y a plein d'articles sur le net), j'ai grosso modo une décennie d'expérience sur le bousin, donc cette review sera plutôt du point de vue d'un joueur expérimenté, connaissant les mécaniques, que de celui de quelqu'un qui découvre le jeu.

Tout d'abord, une chose : le jeu est également disponible gratuitement. La version gratuite actuelle est ancienne (avec une interface difficile à apprivoiser), mais sera d'ici peu remplacée par une version à jour, et sera toujours par la suite mise à jour en même temps que la version payante. Les différences avec la version payante seront l'absence de véritables graphismes (tout est en ASCII) et l'absence d'une bande son. Si vous voulez savoir pourquoi il y a maintenant une version payante, idem, plein d'articles à ce sujet.
Une deuxième chose, c'est que le jeu n'est disponible qu'en anglais. Et à cause de tout ce qui fait de Dwarf Fortress une formidable simulation, ça ne changera probablement jamais. Il est tout simplement impossible de traduire le jeu sans grandement modifier son code, car la génération procédurale d'énormément d'éléments textuels ne fonctionnerait pas de la même façon pour des langues ayant une grammaire et une syntaxe différentes.

Maintenant, le jeu. Tout commence lorsque vous générez un monde. Sa taille, combien d'années se sont écoulées depuis sa création, le nombre de civilisations, la proportion d'animaux violents, la quantité de créatures légendaires et terrifiantes, la quantité de minerais (et bien d'autres paramètres si vous souhaitez une génération plus avancée) sont réglables. Une fois votre choix fait, le monde est généré, année après année. Les civilisations s'établissent, se font la guerre, prospèrent ou s'effondrent, les créatures mythiques anéantissent les êtres suffisamment sots pour les défier, pillent des villages et se font tuer par de grands guerriers ou de simples paysans particulièrement chanceux. Des formes musicales et poétiques s'établissent, des religions se répandent, des artefacts sont fabriqués, des livres écrits.
Une fois ce monde à l'Histoire riche enfin généré, il ne tient qu'à vous de choisir où votre civilisation mère a envoyé vos 7 nains fonder une nouvelle forteresse. Plaines et montagnes, marécages et déserts, glaciers et volcans, vous aurez l'embarras du choix pour vous établir. Attention toutefois, vos voisins ne seront pas forcément des plus amicaux, car fosses gobelines et tours nécromanciennes abondent.
Ce choix fait, vous devrez décider de ce que vous aller emmener dans cet endroit. Quelles sont les compétences de vos 7 nains ? Quel matériel, quelles provisions emporter ? Quel bétail, quels animaux de compagnie ? Ces décisions seront les dernières avant d'enfin démarrer votre future forteresse. Strike the earth!

Comme dans les autres jeux du genre, vous ne contrôlez pas directement vos nains. Vous donnez des ordres (creuser, construire, cuisiner, etc.) et ils obtempèrent (sauf s'ils sont trop occupés à faire autre chose de généralement bien moins productif). Il vous faudra vous assurer que vos nains peuvent survivre (nourriture, boisson, défenses), qu'ils soient heureux (vêtements neufs, chambres individuelles, tout le luxe que vous pourrez leur apporter, qu'il soit matériel ou émotionnel), mais surtout (et c'est là que Dwarf Fortress excelle), qu'ils vivent !
Car survivre, c'est très bien (et pas particulièrement difficile une fois les mécaniques de base comprises, et pour peu que vous ne vous soyiez pas installé en milieu trop hostile), mais inonder vos ennemis sous le magma, construire un gigantesque temple à la gloire de Rithul, votre dieu de la dépravation, apprivoiser des éléphants pour vous en faire une armée, incruster vos chaises de diamants et remplacer la pierre de vos sols par de l'or, c'est ainsi que vous allez écrire une histoire aussi étrange qu'exceptionnelle à vos nains.

Les mécaniques sont nombreuses, les chaînes de production également, et il vous faudra du temps et (on ne va pas mentir) l'aide du wiki (hélas pas encore à jour sur les nouveautés de la version Steam, mais toujours riche en conseils avisés et en informations utiles) pour les maîtriser. L'interface, qui nécessitait autrefois à elle seule des tutoriels, est maintenant beaucoup plus simple à appréhender (même si, vieux grigou que je suis, j'ai des difficultés à perdre l'habitude des anciens raccourcis clavier ou à utiliser certains menus qui ont fortement changé). Les graphismes apportent au jeu une variété visuelle inégalée par les tilesets créés par les fans pour les anciennes versions, et la bande son est excellente.
Le jeu n'est pas exempt de défauts. Certains datent d'il y a bien longtemps et ne sont juste pas une priorité pour les développeurs. Certains ont été ajoutés avec cette version Steam (des raccourcis clavier qui manquent à l'appel, des menus parfois trop simplifiés au point que certains éléments n'y sont plus trouvables, etc.). Certains menus pourraient être plus clairs. Vous rencontrerez parfois des bugs, hélas. Mais le jeu reste incroyable.

Vous allez probablement perdre. Souvent. Et si vous ne perdez pas, c'est certainement parce que vous avez complètement oublié le plus important : perdre est amusant. Noyer ses nains en essayant pour la première fois de construire une citerne, les perdre durant un improbable combat à mains nues face à un dragon, se faire assaillir par des morts-vivants qui ont trouvé la faille dans un plan de défense inutilement complexe, c'est là qu'est tout le fun de Dwarf Fortress..

Car Dwarf Fortress est plus qu'un jeu. C'est un générateur d'histoires incroyables, parfois épiques, parfois ridicules. Mais pour obtenir ces histoires, il faut accepter d'y participer. Et lorsque vous le ferez, vous vous retrouverez face à un chef d'oeuvre qui mérite amplement son statut de légende. Car on ne gagne pas à Dwarf Fortress, pas dans le sens habituel du terme. On perd juste avec panache. 10/10